L'art de l'icône: La joie
Elle n’arrive pas tout de suite. Elle ne vient pas chaque fois.
C’est l’invitée surprise.
L’invitée mystère aussi, car la nommer n’est pas simple.
Elle m’est familière pourtant, lorsqu’elle arrive, je la reconnais.
Est-ce la contemplation des couleurs qui enchante l’âme, l’élaboration lente et patiente des montées en lumière, ou bien encore autre chose, je ne sais.
C’est un mélange de joie, de jubilation même qui dilate l’âme. Tout d’un coup, vous le savez : c’est là. Et presque simultanément, à peine la conscience saisie, que la joie est en vous, la tristesse se superpose.
A en faire venir des sanglots, mais ce n’est pas de la peine. C’est plutôt la nostalgie.
Comme si toucher cette joie nous faisait pénétrer, pieds nus, à l’orée d’un territoire, d’un espace. Ce n’est pas géographique, en fait.
C’est un espace intérieur. Et/ou une qualité du temps. Lorsque le temps se suspend, qu’il n’a plus d’importance, que seul compte l’instant.
Ce n’est donc ni de l’espace ni du temps selon les acceptions communes.
C’est tout à fait ici.
Et nulle part de ce qu’en disent les repères qui définissent « ici ».
Nous sommes donc à l’orée de quelque chose, d’un indéfinissable, d’un indescriptible, d’un non nommable, parce que jamais encore repéré, puisque par essence, saisissement, jaillissement, essentiellement nouveau, inédit, non reproductible, car propre à soi, à un instant du temps.
Et pourtant ce quelque chose possède une qualité qui fait qu’on le reconnaît au moment même où il surgit.
J’ai vécu cela, de manière bien plus intense lorsque j’ai accouché. Mon précédent accouchement s’était terminé de la manière la plus horrible qu’il soit puisque j’avais mis au monde une petite fille non réanimable, morte pour ainsi dire. Que je n’ai jamais pris dans mes bras. Et puis quelques années ont passé et je suis tombée enceinte. La grossesse s’est bien passée, merveilleusement bien passée. Mais il a bien fallu accoucher ! La nature est bien faite. Au beau milieu de l’accouchement, j’ai fermé les yeux.
J’étais bien.
Si bien.
Je ne voulais plus respirer.
J’étais en train de partir.
Je ne voulais plus rien.
C’était fini. Rien n’avait plus d’importance.
Je ne me suis pas dit que j’allais mourir, peut-être.
J’étais bien.
D’ailleurs « je » n’était plus là pour penser qu’il était bien ! Il n’y avait plus rien.
Et puis les voix des sages femmes m’ont appelée, appelée pour que je revienne, je ne voulais pas, elles ont insisté, m’ont forcé à ouvrir les yeux. Et puis l’accouchement a repris son cours.
Et le bébé est né, en bonne santé, solide gaillard.
Et bien, ce quelque chose qui surgit a à voir avec ce que j’ai vécu pendant mon accouchement. Un indicible bien-être. Qui disparaît au moment même où la conscience s’en saisit. Le remplaçant par la nostalgie d’avoir perdu quelque chose.
Quoi ? On ne sait pas. La seule certitude c’est qu’on était au sommet de son être, dans le point d’intensité blanc, là où la flamme est la plus ardente et la plus immobile. Le cœur du feu.
Cette joie, appelons la ainsi faute de mieux, cette joie n’est pas de la nature des joies de ce monde.
Elle est sans cause.
Toutes nos joies ont habituellement une cause.
Ou alors peut-être ne sont-ce pas des joies mais des satisfactions, des plaisirs, voire des hilarités.
Une joie sans cause.
Dont la douceur vous étreint et vous dilate dans le même temps.
Une joie libre, qui ne répond à aucun carton d’invitation, qui n’est contingente à rien. Une joie pour rien.
Mais une joie dont on sent que l’on pourrait s’abandonner à elle et mourir dans ses bras.
Mourir sans mourir d’ailleurs.
Être et n’être pas simultanément.
Une sacrée expérience.
Une expérience du sacré ?
MC 29 mars 2018 à suivre....