L'art de l'icône: L'icône, fenêtre ou porte
Fenêtre ouverte sur l’invisible, ainsi l’a appelée le prêtre et théologien russe Paul Florensky. Une fenêtre ouvre sur un paysage qui s’offre à la contemplation; une fenêtre délimite une portion d’espace, elle ne peut contenir tout l’espace, c’est entendu. Il y a dans le paysage offert au regard comme une concentration d’une toute partie d’un espace que l’on devine plus grand.
Ne vous est-il jamais arrivé de vous pencher, de vous hausser du col pour entrevoir les dernières lueurs du couchant ou bien un arc en ciel? Nous savons tous que l’espace délimité par la fenêtre n’est pas tout l’espace, et quels que soient les efforts que nous ferons, nous n’en verrons de toutes façons qu’une partie.
Ainsi de l’icône: elle donne à voir une représentation d’un au-delà de nous, de l’espace et du temps, figurant des scènes réputées avoir eu lieu il y a des siècles et nous permettant d’y assister aujourd’hui, non pas comme spectateur mais comme participant, grâce à sa perspective inversée qui fait converger les points de fuite des lignes vers le regard du spectateur devenu acteur.
Donc concerné. D’où ce sentiment d’a-temporalité: cette scène vécue il y a plus de 2000 ans, raconte mon histoire aujourd’hui. Et d’absence d’espace puisque les lieux sont tout juste évoqués.
Donc fenêtre. Fenêtre qui suggère qu’il faut sortir de la maison pour embrasser tout le paysage.
Et pour sortir de la maison? On prend la porte. On passe par la porte.
Me vient l’image d’Alice au Pays des Merveilles qui, tentant de franchir la porte, découvre que la porte se rétrécit au fur et à mesure où elle se baisse. « Je suis la porte étroite » dit le Christ. Le seuil est passage, frontière qui délimite le dedans du dehors. Mais pour franchir ce seuil il faut s'incliner. Par respect, humilité, et peut-être infini saisissement devant ce qui va se révéler à nous. Il faut se dépouiller de nos encombrants, se faire léger, petit.
Considérons alors également l’icône comme une frontière, une porte qui nous permet d’entrer dans le paysage entier et d’entrevoir au-delà de la figuration un autre monde. Un monde non représentable avec nos critères, nos repères actuels, mais qui pourtant existe, de la même manière que l’intérieur d’une maison ne permet pas de se représenter le monde qui l’entoure. Et qui pourtant est bien là puisqu’il contient la maison.
Nous sommes là au sein d’une vision d’emboîtements successifs dont on pressent bien que l’on ne parviendra jamais à saisir l’emboîtement ultime, qui ne se peut, de toutes façons, être réduit à un super-emboîtement - ce serait trop simple!
Mais si l’icône est une porte, elle est si petite qu’elle pourrait bien être la porte étroite…chaque icône contemplée, réalisée, serait le Christ. Non pas l’icône du Christ, mais le Christ lui-même, dans sa double nature, humaine et divine.
Réaliser une icône est alors bien loin de réaliser une oeuvre artistique, elle est mise en présence du Christ et par Lui, passage de la dimension humaine à la dimension divine, entrée dans un Saint des Saints, dans un espace sacré, inconnaissable autrement que par l’immersion en lui.
« Qui m’a vu a vu le Père » dit le Christ….
MC Le 10 mai 2018 À suivre...