L'art de l'icône: L'icône, lieu de silence (suite)
L’icône, lieu de silence (suite)
L’icône offre, par sa conception même, la possibilité d’entrer en elle. Elle nous invite à être acteur de la scène représentée du fait de la perspective inversée qui place le point de fuite en dehors d’elle, dans le coeur et le regard du spectateur. Plongée dans un hors du temps, hors de l’espace, dans une dimension où seuls la méditation, le plaisir ou l’extrême souffrance peuvent conduire.
Saisissement. Tout se passe maintenant, dans l’extrême pointe de l’instant. Et pas, il y a deux mille ans.
L’icône actualise la création, gomme le temps.
Au commencement…ainsi commence le Prologue de l’Evangile de Jean mais également la Genèse. Les deux piliers de la foi chrétienne semblent indiquer qu’il y a une entrée dans le temps. Et de fait, le temps n’existe, linéaire, que parce que l’homme occidental s’est mis à le découper. L’homme du tao considère plus volontiers le temps comme cyclique, cycles qui se lisent dans le cercle des engendrements successifs d’une saison à l’autre.
C’est un autre modèle.
Car c’est de modèle qu’il s’agit: l’homme est tellement intrigué par cette vie qui se déroule, telle une immense mer qui n’en finirait pas de produire des vagues arrivant sur la grève, tellement intrigué et vaguement inquiet de ne pas arriver à en percer le sens, qu’il a cherché, qu’il cherche toujours à lui trouver un sens raisonnable. Il peut même conclure à l’absence de sens parfois. Mais c’est une conclusion, ce qui implique qu’il y a eu contemplation.
Et à la limite, il semble plus sensé de conclure à l’absence de sens, même si c’est angoissant et frustrant que de s’inscrire dans un modèle et de s’y enfermer.
Au commencement…l’icône inverse le temps également - pas seulement la perspective: elle rend le passé présent et le présent évanescent, car seul n’existe alors que ce passé présent devant lequel le présent habituel s’efface.
Les repères spatiaux et temporels étant bouleversés, c’est le spectateur qui peut l’être à son tour, bouleversé!
Une chance en fait.
Le discours intérieur peut disparaître pour laisser la place au silence de la contemplation.
Et ce silence est fécond, icône du Silence du Père engendrant le Fils. Ce silence nous engendre à nous-mêmes en nous enseignant cette habitation de l’instant.
Contempler une icône est libérateur de toute peur.
Certains chrétiens ont peur de l’islam, ils lui prêtent, à tort ou à raison, un esprit conquérant, une volonté hégémonique; mais en dehors d’un regard très réducteur porté sur la femme que l’on peut craindre (mais pourquoi le craindre plus que l’image d’une femme- objet de désir, pute et soumise, que nos publicités occidentales ont contribué à véhiculer? Cette image là s’est installée avec la bénédiction d’une église servile qui n’a pas su fustiger ces capitaines d’industrie prêts à toutes les compromissions pour engranger des profits), en dehors de ce regard là, qu’apporte l’islam?
La même contemplation face à face, sans intermédiaire, cette plongée dans le brasier de l’Insondable, de l’Indicible.
"Qui m’a vu a vu le Père", dit le Christ. Bien. Le Christ montre par ces mots que seul le Père est à chercher.
Si le Christ ne conduit pas au Père, Il n’est pas le Christ, Il est une idole de plus. Et conduire au Père, c’est permettre d’entrer dans ce brasier de l’Insondable, de l’Indicible.
Théologie apophatique qui refuse d’enfermer le Créateur dans quelque définition que ce soit.
Il n’y a à avoir peur de personne.
Le Père se moque de nos peurs, de nos différends, de nos querelles de religion.
Le Père attend que nous plongions nos regards en Lui.
Plongeons les pour commencer dans une icône, icône qui nous regarde plus que nous ne la regardons. Laissons être le silence. Et voyons.
« Venez et voyez »….
MC Le 24 mai 2018